L’immense poète italien francophone de grande notoriété, Giovanni Dotoli, auteur d’une œuvre poétique monumentale (notamment les 4 volumes de « Je la Vie » qui couvrent plus de 2000 pages et plusieurs autres recueils), fait l’objet, depuis quelques années, d’une longue recherche doctorale conduite par la jeune poéticienne Yasmine Ben Amor qui, avant sa publication possible, la soutient enfin aujourd’hui samedi 6 novembre 2021, à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Sousse devant un jury tuniso-franco-italien.
S’inscrivant parmi les travaux portant sur à la fois la francophonie littéraire et la modernité poétique et procédant de l’approche thématico-stylistique, cette investigation de haut niveau réalisée avec sérieux et assiduité a cherché surtout à détecter, dans les œuvres complètes de ce poète, mises à l’étude, les traces scripturaires des mythes constituant son arrière-plan culturel et les obsessions qui hantent son univers psycho-mental et marquent son imaginaire poétique et son écriture.
L’auteure de cette thèse a su donc traquer dans les textes de Dotoli Giovanni toutes les marques formelles, tant dénotatives que connotatives, explicites ou implicites, qui permettent de découvrir les soubassements de cette œuvre profonde, ses références et repères culturels et autobiographiques : l’enfance, les souvenirs personnels, les lieux mythiques ou mythifiés, les œuvres marquantes, les désirs obsédants, assouvis ou retenus, toute la mythologie du poète ou ses « profondeurs mythiques », pour employer l’expression de Barthes définissant le style dans « Le degré zéro de l’écriture ».
Dans cette recherche portée d’abord sur les mythes et obsessions, la doctorante a su voir ce qu’il y a de plus substantiel dans cette poésie dotolienne qui est la quête constante de la beauté que le poète s’évertue à puiser au fond de lui-même ainsi que dans l’âme du monde pour la traduire par son langage poétique. Langage intuitif, pénétrant, qui sonde l’univers des êtres et des choses afin d’essayer d’y puiser une substance mystérieuse et cachée qui est cette émotion précieuse qu’il parvient à donner au lecteur.
Comme le poète en question ici est italien et écrivant aussi, parallèlement à sa production en français, en italien, l’auteure de cette thèse est parvenue à relever, dans la langue française qu’il met en œuvre à sa façon, les traces récurrentes de son patois provincial italien qui relève de la mythologie du poète et de sa constitution identitaire décidant de son style et de sa langue poétique.
Dans son étude de la singulière expression langagière de Dotoli, Yasmine Ben Amor a montré comment ce poète est, comme l’a qualifié le lexicographe Alain Rey, « un homme de mot ». Car « le mot » est à la fois son moyen et son but, le domaine exclusif et permanent dans lequel il évolue en tant que poète d’abord et en tant que critique littéraire, commentateur et lexicographe ensuite. Le mot constitue son éternel voyage initiatique, spirituel, à travers des villes et des villages, des pays réels ou chimériques qui se situent par-dessus l’espace et le temps et qui ne sont que les terres vierges et sans bornes de l’imagination et du fantasme qui deviennent parole poétique où trônent le rêve, la fiction, l’amour incommensurable de la nature mère, mais aussi un horizon humaniste, par-delà toutes les cultures et toutes les appartenances.
Afin de circonscrire tous ces thèmes et toutes les traces culturelles et autobiographiques dans cette œuvre de Giovanni Dotoli, l’auteure de cette thèse s’est engagée dans l’examen minutieux, méthodique et savant de toute la matière stylistique mise en œuvre dans cette vaste production poétique : les isotopies essentielles, les répétitions signifiantes, les métaphores obsédantes structurant cette œuvre, les comparaisons récurrentes, la syntaxe particulière et novatrice et, bien sûr, le rythme ou, plus globalement, la musique des textes. L’étude de la forme sens représente la ligne directrice de cette thèse composée de trois parties différentes et complémentaires dont chacune est développée à travers divers chapitres, non sans quelque réussite et une assez bonne connaissance de l’œuvre mise à l’étude ainsi que de la bibliographie et du domaine dans lequel s’inscrit ce travail et qui est la stylistique de la poésie, ou, plus généralement, la poétique.
« Mythes et obsessions dans la poésie de Giovanni Dotoli », thèse réalisée par Yasmine Ben Amor sous la direction du professeur Ridha Bourkhis (Université de Sousse). Jury de soutenance : Pr. Nizar Ben Saâd (université de Sousse), Pr. Bernard Franco (Sorbonne Université, France), Pr. Mario Selvaggio (Université de Cagliari, Italie) et Saloua Béji (Université de Sousse).